Dans la monotonie de la vallée de la Broye
Aujourd’hui, le parcours rejoint la Via Jacobi 4, peu avant Moudon. C’est alors que s’achève le parcours qui est parti de Bâle sur la Via Jura 80, et qui s’est poursuivi sur la Voie des 3 Lacs.
On a souvent l’image d’une Broye rectiligne, endiguée, monotone, le long de longues allées de peupliers. De nombreux pèlerins trouveront que ce parcours ne confère aucun charme particulier, aucun caprice. Un vrai chemin de croix, pour dire vrai. La rivière a connu de nombreux travaux de correction et d’endiguement au XIXe siècle, voire même avant, pour contenir les fréquentes crues et inondations. La renaturation de la rivière a aussi servi à bonifier de nombreux terrains pour l’agriculture. La Vallée de la Broye est une des grandes plaines cultivées de Suisse.
Cependant, l’itinéraire est apprécié des cyclistes et promeneurs de chiens, même s’il ne réjouira guère les adeptes de paysages sauvages et variés. Ne soyons pas si négatifs. Vous avez traversé de si beaux paysages depuis Bâle, qu’un peu de monotonie ne peut vous nuire. Vous pouvez aussi remarquer le travail remarquable qu’une équipe hétéroclite composée de pêcheurs, d’agriculteurs, et d’écologistes ont accompli pour redonner à la Broye l’âme qu’elle avait perdue dans sa canalisation séculaire. De nombreuses espèces animales et végétales n’y trouvaient plus les conditions de vie qui leur étaient propices. Plusieurs affluents se jetaient dans la Broye par des seuils infranchissables pour les poissons. La rivière atteignait parfois des températures excessives. Les agriculteurs voisins avaient pris l’habitude d’en pomper le précieux or bleu pour arroser leurs cultures. Tout cela a été corrigé. De nombreux panneaux le long du chemin décrivent la belle initiative.
Nous avons divisé l’itinéraire en plusieurs sections, pour faciliter la visibilité. Pour chaque tronçon, les cartes donnent l’itinéraire, les pentes trouvées sur l’itinéraire et l’état du GR65. Les itinéraires ont été conçus sur la plateforme “Wikilocs”. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’avoir des cartes détaillées dans votre poche ou votre sac. Si vous avez un téléphone mobile ou une tablette, vous pouvez facilement suivre l’itinéraire en direct.
Pour ce chemin, voici le lien :
https://fr.wikiloc.com/itineraires-randonnee/de-payerne-a-moudon-100111723
Difficulté du parcours : Les dénivelés aujourd’hui (+70 mètres/-6 mètres) sont inexistants. Le parcours ne fait que suivre en montant le faible dénivelé de la rivière.
État de la Voie des 3 Lacs : Aujourd’hui, c’est surtout une large route de terre qui a la primeur :
- Goudron : 2.9 km
- Chemins : 19.3 km
Ce n’est évidemment pas le cas pour tous les pèlerins d’être à l’aise avec la lecture des GPS et des cheminements sur un portable, et il y a encore de nombreux endroits sans connexion Internet. De ce fait, vous trouvez sur Amazon un livre qui traite de ce parcours.
Si vous ne voulez que consulter les logements de l’étape, allez directement au bas de la page.
Parfois, pour des raisons de logistique ou de possibilités de logement, ces étapes mélangent des parcours opérés des jours différents, ayant passé plusieurs fois sur sur ces parcours. Dès lors, les ciels, la pluie, ou les saisons peuvent varier. Mais, généralement ce n’est pas le cas, et en fait cela ne change rien à la description du parcours.
Il est très difficile de spécifier avec certitude les pentes des itinéraires, quel que soit le système que vous utilisez.
Pour les “vrais dénivelés ”et pour les passionnés de véritables défis altimétriques, consultez attentivement les informations sur le kilométrage au début du guide.
Section 1 : En quittant Payerne
Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.
La Voie des 3 Lacs, un itinéraire dont le nom persiste comme une promesse de paysages lacustres, conserve son appellation même après que l’on ait quitté les lacs depuis Avenches. Ce parcours reprend son cours depuis le centre de Payerne, se dirigeant vers l’ouest en direction de la rivière de la Broye. Depuis la majestueuse cathédrale, le parcours fléché, avec ses marques jaunes caractéristiques des chemins suisses, serpente à travers le bourg et ses rues méthodiquement quadrillées.
Le parcours se dirige rapidement vers la rivière, qui se profile comme une ligne d’horizon aquatique.
En cheminant, vous passerez devant une vieille tour rustique, témoin silencieux du passé, puis devant l’église catholique de Notre-Dame-Immaculée. Il est important de noter que Payerne se trouve dans le canton de Vaud, un territoire marqué par le protestantisme.
À hauteur de l’église, le parcours atteint la rivière. Cependant, il ne la traverse pas. La Broye, fluide et capricieuse, coule de l’ouest à l’est, reliant Moudon à Payerne. Vous allez donc remonter presque continuellement la rivière, tout d’abord sur sa rive droite.
Une petite promenade le long de la rivière, entrecoupée de petits ponts pittoresques, permet de quitter la cité. Vous pénétrez alors dans la banlieue, où se dressent de grands immeubles souvent dépourvus de charme, parfois égayés par des graffitis colorés au bord de l’eau.
Mais, comme c’est malheureusement le cas dans la plupart des banlieues, cette agréable promenade se transforme rapidement en une zone industrielle, où les bruits incessants des activités locatives ajoutent leur cacophonie à l’environnement. Heureusement, l’eau, en dépit de ce décor moins romantique, clapote avec une certaine délicatesse dans le fleuve tranquille.
Le parcours quitte définitivement Payerne lorsqu’il rejoint la route de Fribourg, une voie périphérique qui contourne la ville. Les axes de circulation, tels que la route de Lausanne à Berne et l’autoroute un peu plus loin, évitent soigneusement Payerne. À cet endroit, les panneaux indiquent que vous marchez sur la Via Jacobi 4, une information incorrecte puisque la Via Jacobi 4 ne commence qu’après Moudon. Néanmoins, vous êtes en bonne direction, avec Moudon annoncé à environ cinq heures de marche.
Si vous passez ici le week-end, vous découvrirez un petit square envahi par des pique-niqueurs. Payerne, une ville vibrante où une grande diversité de travailleurs étrangers réside en abondance, offre une scène animée et cosmopolite.
Dès cet instant, le parcours vous accompagnera le long de la rivière pour une longue période, jusqu’à Moudon. Au départ, le goudron longe la voie ferrée, offrant un itinéraire clair. De Payerne à Moudon, le parcours suit un trio simple : la rivière, la route ou le chemin, ainsi que la voie ferrée. Un itinéraire dépouillé mais prévisible.
Peu après, le goudron cède la place à des gravillons, marquant le retour progressif à la nature.
Les arbres qui bordent le chemin sont principalement des bouquets de hêtres, élancés et droits, souvent en rejets, avec quelques feuillus plus rares tels que des chênes, des bouleaux ou des peupliers.
Un peu plus loin, le chemin se rapproche de la voie ferrée, qu’il va bientôt quitter, mais il restera toujours en proximité. Le parcours évite les sous-bois et suit plutôt le contour des haies de feuillus, offrant une alternance de paysages simples, peu variés.
La route avance souvent de manière presque rectiligne. De l’autre côté de la rivière, à droite, se profile le village de Fétigny, en territoire fribourgeois. La géographie ici est particulièrement complexe, avec le canton de Vaud s’étendant presque jusqu’à Morat dans le canton de Fribourg, créant une sorte d’enclave. Les résidents locaux sont sans doute les seuls à savoir précisément à quel canton ils doivent leurs impôts.
Section 2 : Balade le long de la rivière
Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.
Dans ces trajets où l’immobilité semble parfois s’emparer du temps, il faut apprendre à capter les détails, ces petites choses qui, soudain, vous tirent de la torpeur. Par exemple, le regard peut s’attarder sur le passage de cavaliers de l’autre côté du lac, chevauchant le long des haies, silhouettes éphémères qui apportent une touche de vie à ce paysage presque figé.
Ou bien, c’est le train, modeste convoi régional, qui fend la plaine, jamais bien éloigné du chemin que vous suivez. Son passage régulier rappelle la cadence du temps, inaltérable, dans cette vallée tranquille.
Un peu plus loin, la route de terre amorce un léger coude, un mouvement rare dans cet itinéraire plutôt linéaire. Ce discret virage vous emmène vers les vastes exploitations horticoles.
Vous passez alors devant d’imposants hangars, où les horticulteurs s’affairent autour de leurs grandes serres. Là, fleurs et plantes semblent déborder de toutes parts, un chaos organisé, éclatant de couleurs, qui tranche avec l’austérité de la route.
Les week-ends, la scène change du tout au tout. Cyclistes et cavaliers du dimanche envahissent les lieux, infusant de l’énergie dans cette campagne endormie, comme si chacun voulait s’approprier un peu de la paix que la nature offre généreusement ici.
Sur votre gauche, la vaste plaine de la Broye s’étend, l’une des rares plaines de Suisse, et sans doute la plus cultivée du pays. C’est ici que passe la RN1, ce grand axe qui relie Lausanne à Berne. Pourtant, discrets sont les automobilistes qui empruntent cette route, préférant l’autoroute, à deux pas, de l’autre côté de la vallée.
Plus loin, la route change de visage. De graveleuse, elle devient un chemin de terre battue, ponctué en son centre d’une large bande d’herbe, tel un ruban verdoyant qui scinde la voie. Les peupliers, imposants et majestueux, prennent la place des bouleaux. Leurs longues silhouettes se dessinent au bord de la rivière, accentuant l’impression d’un paysage immobile, figé dans une tranquillité presque solennelle.
Un pont se profile à l’horizon, élégant dans sa simplicité, une œuvre discrète de génie civil. Pourtant, il ne vous est pas destiné, il reste là, inutile pour votre cheminement, réservant son passage à d’autres. Ces ponts, malgré leur splendeur, semblent avoir peu d’usage, comme des trésors que personne ne viendrait réclamer. On murmure parfois que la Suisse a les moyens de ces extravagances. Cela ne fait plus de doute en voyant ces ouvrages presque inutilisés.
Un peu plus loin, le ruisseau de Trey se jette dans la Broye. L’embouchure a été réaménagée avec soin pour permettre aux truites, aux vairons, et même aux salamandres de migrer librement depuis la rivière. Ce point de rencontre entre les deux cours d’eau est un petit havre de biodiversité, où la vie aquatique peut se renouveler, en paix.
Puis, vous voilà de nouveau lancé sur une interminable ligne droite, rectiligne, monotone, où le paysage semble s’étirer à l’infini. Seuls les week-ends apportent une touche de vie, avec l’arrivée des cyclistes. C’est un peu la Hollande ici, avec ces cyclotouristes qui longent la rivière, évoquant les canaux de là-bas.
Vous pourriez croire que la marche est totalement plate, mais ce n’est qu’une illusion. Observez la rivière, elle ne coule jamais de façon totalement paisible. De légers soubresauts agitent parfois son cours, rappelant que vous remontez vers sa source, même imperceptiblement. Derrière les peupliers, légèrement courbés par les vents de la vallée, se dessine le village de Granges-Marnand, qui apparaît de loin comme une agglomération modeste, avec ses petites villas éparses et ses quartiers industriels timides.
Section 3 : Henniez, les eaux gazeuses de la Suisse romande
Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.
À l’approche du village, la route serpente doucement, menant jusqu’au pont où le petit ruisseau de Marnand s’unit à la Broye. Une rencontre discrète entre deux cours d’eau qui, tout en se rejoignant, poursuivent leur chemin commun vers des horizons divers.
Granges-Marnand, quant à lui, se trouve de part et d’autre de la Broye, partagé entre ces deux rives. La géographie ici est toujours surprenante, entre enclaves et frontières invisibles, à la croisée des cantons de Vaud et Fribourg. En 2010, plusieurs communes vaudoises ont fusionné pour créer la commune de Valbroye, avec Granges-Marnand en tant que centre névralgique, bien que rien, dans ce paysage tranquille, ne laisse présager une telle importance administrative.
Le parcours effleure à peine ce village paisible. Il ne s’y attarde pas, ne s’y engouffre pas, préférant poursuivre son chemin le long de la Broye, toujours sur la même rive. L’horizon reste inchangé, plat et sans promesse de surprise. Ici, un panneau annonce Moudon à plus de trois heures de marche, une distance qui semble infinie dans la monotonie de cette traversée. Chaque pas s’apparente à un exercice de patience, et le paysage devant vous n’offre guère de réconfort, promettant seulement la continuité de cette marche sans fin.
La route de terre poursuit sa route, se glissant discrètement derrière les derniers lotissements industriels de Granges-Marnand. Les bâtiments se fondent peu à peu dans le paysage, laissant place à la campagne.
C’est ici que commence une nouvelle phase de cette marche, celle de la monotonie absolue. Vous voilà engagé sur un long tronçon droit de près de deux kilomètres. À droite, la Broye coule paresseusement le long des rangées de peupliers et de bouleaux, tandis qu’à gauche, une haie de buissons masque la vue sur la plaine. Pour briser la routine, vous alternez entre marcher sur l’herbe douce et la terre plus rugueuse et graveleuse. C’est un décor presque identique à celui que l’on rencontre sur la Via Podiensis, en France, avec la plaine de l’Adour. Rien ne vient troubler ce tableau à part, peut-être, le sifflement lointain du train qui traverse cette vallée, rappelant que la modernité n’est jamais trop loin.
Puis, un obstacle semble surgir devant vous. Le chemin se termine abruptement, comme s’il s’agissait d’une impasse. Mais pas d’inquiétude : c’est simplement pour laisser place au ruisseau de la Trémeule, qui descend des collines boisées d’Henniez, juste en face. Aucun barrage ne retient ici le passage des truites, ce qui fait le bonheur des pêcheurs du week-end, que vous verrez en nombre, cannes à la main, le long des rives.
Le chemin contourne l’obstacle, en toute discrétion, comme si de rien n’était, et continue son tracé tranquille. Il flirte à nouveau avec la ligne de chemin de fer avant de reprendre son caractère rectiligne. À votre gauche, s’étend la vaste campagne d’Henniez, dont les champs semblent se dérouler à l’infini.
La Suisse, pays de contrastes et de luxe, le démontre une fois de plus. Un peu plus loin, la route longe un beau pont enjambant la Broye, reliant Henniez à Villeneuve, de l’autre côté. Mais ce pont est presque inusité. Ni cavaliers ni véhicules n’y passent, et les rares piétons qui l’empruntent sont sûrement des locaux, habitués de ce court trajet entre Villeneuve et Henniez, deux villages voisins, comme deux rives d’une même histoire.
Les Eaux d’Henniez, c’est l’histoire d’un lieu au croisement de l’hydrothérapie et de l’industrie minérale, une histoire que l’on retrouve dans bien d’autres sites de sources ou de bains thermaux. Tout commence, comme souvent, avec la pluie. Lentement, l’eau s’infiltre dans les profondeurs de la terre, où elle entame un long processus de purification, traversant les strates géologiques qui lui confèrent sa pureté et ses minéraux. Dans ces profondeurs, elle reste parfois prisonnière pendant des années avant de resurgir, enrichie de sels et d’oligo-éléments. Ce qui différencie une source d’une autre, c’est la température de l’eau au moment de son retour à la surface. À Henniez, la première source connue, appelée « Bonne Fontaine », donne une eau à une température variant entre 9 et 11,5 °C selon les saisons, provenant des sept captages du fameux « Sillon d’Henniez » .
La légende veut que les Celtes puis les Romains aient été les premiers à découvrir cette précieuse source. Le nom Henniez, quant à lui, dériverait d’un certain Ennius, un notable romain possédant un domaine dans la région. Le XVIIe siècle voit, partout en Europe, la montée en vogue des bains thermaux, et Henniez n’échappe pas à la tendance. L’Hôtel des Bains est alors construit à proximité des sources, dans la forêt qui surplombe le village. L’endroit connaît une grande prospérité, notamment pendant la Première Guerre mondiale, attirant des étrangers fortunés : des pachas venus d’Orient avec leurs harems, des archiducs en quête de repos et de soins. Mais comme pour tant d’autres lieux de cure, le succès finit par s’estomper avec le temps, les décennies balayant peu à peu les heures glorieuses. On tente bien de revitaliser les lieux en accueillant des colloques, des banquets ou des réunions de conseils d’administration. Mais l’année 1939, avec la Seconde Guerre mondiale, signe le glas de cette ère. L’Hôtel des Bains se transforme en un poste militaire de fortune. Aujourd’hui, il n’en reste plus rien, sauf peut-être dans la mémoire des anciens. Cependant, l’activité autour de l’eau minérale n’a jamais cessé. La première usine d’embouteillage est inaugurée en 1905, bien avant la fermeture des bains, à une époque où l’eau d’Henniez n’était vendue qu’en pharmacie comme remède médicinal. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’eau minérale commence à être consommée quotidiennement, abandonnant peu à peu son statut de traitement pour devenir une boisson populaire.
Le chemin, quant à lui, ne passe pas par le village de Henniez. Il le longe à distance, à la hauteur de la RN1. Ici, la monotonie reprend ses droits, et le parcours, toujours aussi rectiligne, semble s’étirer à l’infini à travers les campagnes d’Henniez. Quelques bancs parsèment le chemin, mais leur utilité est discutable pour un marcheur raisonnable, qui évolue dans un terrain parfaitement plat.
En longeant la voie ferrée, la route terreuse passe non loin de la gare d’Henniez, sans toutefois y accéder directement. On pourrait se demander pourquoi une gare est installée ici, en pleine nature, loin du village. Mais c’est en levant les yeux vers la colline que l’on trouve la réponse : juste au-dessus de la gare se dresse l’usine moderne des Eaux d’Henniez. Peut-être est-ce pour les visites officielles, ou pour les réunions des Conseils d’administration, que cette gare existe ?
En 2007, Henniez a rejoint le groupe Nestlé Waters, suivant le chemin d’autres grands noms de l’eau minérale, tels que Perrier, San Pellegrino, Vittel ou encore Contrex. Henniez est désormais leader du marché des eaux minérales en Suisse, détenant près de 20 % des parts, un succès qui s’étend même à la Suisse alémanique.
Section 4 : Longue balade le long de la Broye
Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.
La petite route de terre poursuit son cheminement, presque indifférente au paysage qui s’épaissit légèrement de bois et de bosquets. Elle passe devant une frontière plutôt discrète, presque amusante, entre le canton de Vaud et celui de Fribourg. Dans cette région, il faut être fin connaisseur pour distinguer les lignes qui séparent les deux cantons. Mais à vrai dire, depuis la suppression des douanes cantonales en 1848, qui se soucie encore de ces frontières invisibles, hormis quelques contrôleurs fiscaux assidus ?
La route s’approche alors d’une zone que l’on devine plus résidentielle, mais elle n’y pénètre pas. Elle demeure sagement à l’orée d’un sous-bois clairsemé, toujours fidèle à la rivière qui l’accompagne. C’est ici que le ruisseau du Seigneux se fond dans la Broye, dans un murmure presque imperceptible.
Un petit pont de bois, modeste et rustique, enjambe le ruisseau. Ici, on a aménagé une passe à poissons, simple et rudimentaire. Quelques pierres, placées stratégiquement dans le courant, forment une échelle pour les truites audacieuses. Pas à pas, ou plutôt à nageoire à nageoire, elles gravissent chaque palier, s’offrant un répit dans les bassins que forme le courant. Ce petit havre aquatique ne les protège pourtant pas des pêcheurs qui, à l’aube ou au crépuscule, viennent taquiner la truite fraîchement réintroduite dans ces eaux.
Après avoir franchi le Seigneux, la Voie des 3 Lacs quitte pour un temps la large voie de terre battue pour se perdre dans un chemin d’herbe, moins fréquenté, plus discret.
Ce passage est sans doute le plus sauvage de tout le parcours. Un petit sentier forestier s’étire paresseusement le long de la rive, presque comme un secret que l’on chuchote à l’oreille du promeneur attentif. Sur la rive opposée, des épicéas font leur apparition, ajoutant une touche inattendue à ce paysage déjà inhabituel. Cela seul suffit à évoquer le caractère indompté de ce coin de nature. Parfois, un banc, isolé, semble attendre. Mais ce n’est pas pour le randonneur fatigué. Il est souvent occupé par des pêcheurs, assis nonchalamment, leurs lignes étendues vers l’eau, dans l’espoir de capturer une prise. Une pêche sportive, silencieuse, presque méditative, qui anime à peine ces lieux tranquilles.
À la sortie du maigre sous-bois, le chemin traverse un petit tunnel sous la voie ferrée qui surplombe la rivière.
Dès lors, vous voilà reparti pour une nouvelle portion du trajet, bien que cela puisse sembler répétitif. Le chemin, toujours droit, alterne entre graviers et herbe, avançant sans grande courbure en direction du village de Lucens. Vous aurez peut-être l’impression que tout est plat, mais un coup d’œil aux ondulations de la rivière vous rappellera que la montée, bien que subtile, est bien présente.
En s’approchant de Lucens, le parcours entre dans la banlieue industrielle. Ici, le goudron remplace la terre battue, et vous passez au milieu de tas de débris métalliques et de scories qui donnent une impression un peu moins attrayante.
Peu après, la route traverse la rivière à proximité de l’un des quatre sites de production de Cremo, une entreprise emblématique de l’industrie laitière suisse, fondée en 1927, avec son siège à Villars-sur-Glâne, dans le canton de Fribourg.
C’est ici que, pour la première fois depuis Payerne, vous vous retrouvez sur la rive gauche de la rivière. Le château de Lucens se profile alors, bien que son allure pittoresque soit quelque peu noyée dans la masse industrielle environnante. La ville abrite également Isover, une filiale de Saint-Gobain, leader mondial dans l’isolation, notamment avec ses produits en laine de verre pour la construction et l’industrie. Depuis 1937, Saint-Gobain a implanté de nombreuses filiales en Suisse, fournissant également du verre, du plâtre, et même des équipements pour salles de bains et cuisines.
Après avoir quitté la zone industrielle de Lucens, la route continue de longer la rivière.
À la sortie de cette zone, près d’un pont, vous arrivez à l’entrée de Lucens, bien que le parcours ne pénètre pas dans le village lui-même. C’est ici que vous avez une décision à prendre. Vous pouvez prendre la route sur la gauche, qui vous mènera à Curtilles, où vous rejoindrez le Chemin de Compostelle principal, la Via Jacobi 4, qui vient de Fribourg. Sinon, vous pouvez rester sur la rive gauche de la rivière et rejoindre la Via Jacobi 4 un peu plus loin. Cette seconde option est plus courte et vous évite de marcher sur l’asphalte.
Section 5 : L’approche de Moudon
Aperçu général des difficultés du parcours : de vraies vacances pour le marcheur.
Le parcours continue avec une petite particularité : il vous fait traverser le ruisseau de Cériaule de manière acrobatique, avant de vous retrouver sous le pont menant à Curtilles.
Cependant, vous restez bien sur la rive gauche de la rivière Broye. La route de terre battue, avec sa bande herbeuse au centre, longe les aires sportives de Lucens et s’oriente en direction de la RN1. Ici, la rivière, d’habitude tranquille, devient légèrement plus tumultueuse.
En avançant, le chemin passe sous les grandes arches de la RN1, l’axe principal entre Lausanne et Berne.
Une fois sous ces arches, si vous vous retournez, vous apercevrez à nouveau le château de Lucens, perché majestueusement sur son éperon rocheux. Il est probable que vous n’ayez pas pris le temps de vous arrêter à Lucens pour visiter le château. Et c’est peut-être mieux ainsi, car le château ne se visite pas. Édifié à la fin du XIIe siècle, cet édifice a été détruit et brûlé plusieurs fois au fil des siècles. D’abord forteresse défensive, puis résidence noble, il est depuis 1801 la propriété de divers propriétaires privés. En 1965, le fils de Sir Arthur Conan Doyle, célèbre créateur de Sherlock Holmes, acquit le château et y installa un musée en l’honneur de son père et de son œuvre. Ce musée a perduré quelques années avant d’être transféré ailleurs dans le bourg.
En continuant votre marche, le chemin de terre fait un léger coude le long d’une rangée de bouleaux, creusée par la Broye dans la molasse, ajoutant un air paisible à la balade.
Ici, il n’est pas rare de croiser des pêcheurs, la canne à la main, profitant de l’atmosphère bucolique pour taquiner la truite.
Mais derrière ce calme apparent, cette région a été le théâtre d’un épisode bien moins paisible. C’est à cet endroit, non loin de la RN1, que l’idée de construire un réacteur nucléaire expérimental avait vu le jour, dans une caverne creusée dans la colline. La Suisse, alors en quête d’autarcie énergétique, avait choisi la filière de l’eau lourde, espérant trouver des gisements d’uranium non enrichi dans les Alpes. Mais le 21 janvier 1969, un incident majeur survint : le réacteur de Lucens entra en fusion partielle. Ce projet, qui portait les espoirs de l’indépendance nucléaire suisse, se solda par un accident grave.
Ce matin-là, tout commença normalement avec la montée en puissance du réacteur. À 6 h 15, les opérateurs remarquèrent une anomalie mineure dans le système de refroidissement. La décision fut pourtant prise d’augmenter la puissance du réacteur. Vers 17 h 20, tout s’accéléra : une chute soudaine de la pression dans le circuit primaire indiqua que le gaz carbonique s’échappait, accompagnée d’une augmentation de la radioactivité dans la caverne. Rapidement, un arrêt d’urgence fut activé, isolant la caverne et mettant un terme au projet de réacteur suisse. Le réacteur, d’une puissance cent fois inférieure aux centrales modernes, n’a jamais redémarré. Le démantèlement a suivi et l’accident de Lucens est resté un des dix incidents nucléaires civils les plus graves au monde. Malgré tout, les autorités ont toujours affirmé que les risques de contamination pour la population environnante étaient minimes, les niveaux de radioactivité n’ayant pas dépassé ceux naturellement présents. Pourtant, comme ailleurs, des doutes ont persisté quant aux effets à long terme, notamment avec l’augmentation des cancers intestinaux dans la région au cours des décennies suivantes. Les experts aussi ont conclu que l’augmentation des cancers de l’intestin dans la Broye entre 1970 et 1990 avait “ peu de chance” d’être liée à l’incident nucléaire. Dans les environs de Tchernobyl aussi, bien évidemment !
Le chemin reprend son tracé rectiligne, longeant la rivière d’un côté et la voie de chemin de fer de l’autre, avec la RN1 qui domine la scène depuis les hauteurs. Ce long tronçon semble interminable, avec peu de distractions à part les camions vrombissant sur l’autoroute, le passage régulier des trains, les quelques cyclistes et les pêcheurs occasionnels qui tentent leur chance sur les rives de la Broye.
Mais ce paysage monotone s’apprête à changer. Le chemin s’apprête à franchir la rivière, marquant un tournant important. C’est ici que la Voie des 3 Lacs rejoint officiellement le Chemin de Compostelle, la Via Jacobi 4. Cette jonction est toutefois subtile et non signalée, car selon les responsables du chemin, la bifurcation aurait dû se faire à Lucens, en direction de Curtilles. Si vous poursuivez tout droit, vous atteindrez Moudon, mais en traversant la zone industrielle. Mieux vaut donc prendre le pont et rejoindre la véritable Via Jacobi 4.
De l’autre côté du pont, le paysage reste tout aussi linéaire. La route de terre continue, droite et sans fin, tout en se rapprochant de la périphérie industrielle de Moudon, visible sur l’autre rive de la rivière.
Section 6 : Moudon, capitale de la Broye
Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.
En poursuivant votre marche, le parcours croise une petite mare tranquille, un endroit parfait pour une pause et un pique-nique en toute quiétude. La simplicité du lieu, avec une cabane aménagée pour les visiteurs, offre une agréable parenthèse dans votre randonnée.
Encore quelques centaines de mètres sous les bouleaux et les peupliers, d’abord sur la terre batue, puis sur l’herbe, le long de la rivière. Vous aurez une vue plongeante sur la zone industrielle de l’autre côté de la Broye.
À l’entrée de Moudon, le parcours traverse une dernière fois la Broye, non loin d’une fromagerie pittoresque, partiellement taillée dans la roche. Ce point de passage ajoute une touche locale au trajet.
Une route vous mène ensuite vers la gare.
De grands parkings accueillent les automobilistes de la ville. Vous constaterez que le stationnement peut parfois être un défi dans cette agglomération, ajoutant une touche d’urbanité assez commune.
À Moudon, dont les origines celtiques se mêlent à une période romaine prospère, vous trouverez un bourg de 6’000 habitants. Le parcours vous mène vers le centre-ville le long de la Broye, offrant une vue sur l’église Saint-Étienne, surnommée la “cathédrale de la Broye”. Cette vieille église catholique, détruite par les protestants, a été restaurée au fil des siècles et abrite le plus ancien orgue jouable du Canton de Vaud.
Le centre-ville, bien que modeste d’un point de vue architectural, laisse place à un haut de la ville plus charmant. Une rue raide vous mènera vers le château.
Au sommet de la colline, où se trouvait autrefois une importante forteresse, il ne reste que la majestueuse tour et quelques remparts. Les deux “faux châteaux” actuels ont été remodelés au fil des siècles, succédant à la forteresse d’origine. Vous y trouverez le Château de Carrouge et le Château de Rochefort, ce dernier abritant un musée des beaux-arts régional.
Logements sur la Voie des 3 Lacs /Via Jacobi
- Regina et Jean-Jacques Duc, Rue de Verdairu 25, Granges-Marnand ; 026 668 13 30/079 344 59 93 ; Accueil jacquaire, repas, petit déj.
· Villa le Cigalou, Route de Moudon 73, Lucens ; 026 906 82 35/078 880 22 35 ; Chambre d’hôte, petit déj.
- La Ferme du Château, Rte d’Oulens 8, Lucens; 079 759 19 44 ; Hôtel**, petit déj.
- Hôtel de la Gare, Avenue de la Gare 13, Lucens; 079 219 33 46 ; Hôtel**, repas, petit déj.
- Dortoir de la Caserne, Moudon; 079 175 97 38 ; Dortoir
- Piscine du Grand Pré, Moudon; 021 905 23 11 ; Camping, repas, petit déj.
- Anne et Michel Thorens, Les Combremonts 24, Moudon; 021 905 54 20/078 886 83 07 ; Chambre d’hôte, repas, petit déj.
- Anne et André Mayor, Le Plan 2, Moudon; 021 905 24 06/078 832 30 59 ; Chambre d’hôte, repas, petit déj.
- Michèle Cheseaux, Ch. de Valcrêt 5, Moudon; 079 418 86 47 ; Chambre d’hôte, petit déj.
- Hôtel de la Gare, Moudon; 021 905 45 88 ; Hôtel*, repas, petit déj.
- Hôtel du Chemin de fer, Moudon; 021 905 70 91 ; Hôtel*, repas, petit déj.
- French 75, Route du Relais 5, Moudon; 021 905 13 13 ; Hôtel**, repas, petit déj.
La région des Trois-Lacs demeure une destination prisée avant tout par les touristes locaux. En conséquence, les hébergements ne sont pas abondants, sauf dans les villes à vocation touristique internationale, comme Morat, qui demeure la priorité. Cependant, dans cette étape, il y a possibilité de se loger et de se restaurer tout au long du parcours. Il y a aussi plus de possibilités à Moudon, une ville avec tous les commerces.